Ludivine Gonthier.
Divine Idylle.
5 septembre — 30 septembre 2023
61 rue de la Verrerie
75004 Paris, France
Saisissante et majeure. Je me souviens de cette sensation qui a longtemps occupée mon esprit alors que je venais de découvrir les peintures de Ludivine. C’était aux Beaux-arts de Paris. Elle était étudiante. Elle y occupait un atelier partagé, ses toiles étaient immenses, certaines à même le sol, d’autres clouées aux murs. Elle avait débordé petit à petit sur l’espace de ses voisins et ses peintures captaient tous les regards. Ce jour-là, Ludivine était divine, sa chevelure et son regard noir lui donnaient des airs de lionne. Elle était vêtue d’une salopette bleue entièrement recouverte d’insectes peints, des gendarmes, sa bretelle détachée laissait apparaître un sein. De la peinture plein le visage, un pinceau à la main, une bière dans l’autre, une clope au bec, les pieds sur ses œuvres, elle s’affairait passant de l’une à l’autre de ses toiles. D’un geste sûr, les images se dessinaient sur la toile. Rangée de façon désordonnée, sa zone de travail était encombrée de tout le nécessaire de la peintre, une palette maculée de couleurs, des pinceaux, des brosses, et tout un fatras d’objets aimés, des peluches de l’enfance, des souvenirs d’une vie d’avant. Sa vie d’avant, c’est une naissance à Orange puis une jeunesse sur l’île de la Réunion. Elle revient sur le continent à la fin de l’adolescence pour étudier la peinture.
Sa peinture hurle l’urgence, la rage et la liberté d’une jeunesse qui se questionne : des images d’hommes ou de femmes travestis, un groupe de femmes debout seins nus aux airs de combattantes fait face à une toile composée d’un groupe d’homme debout entièrement vêtu, des policiers fantomatiques les visages dissimulés derrière des masques... À ces tableaux de société se confrontent des autoportraits, un viol sanglant, un accouchement de bébés barbus, un mariage monstrueux… Elle y place son corps comme un symbole féministe. Sans ambage, l’artiste se met en scène dans des performances burlesques et utilise toute une galerie d’autoportraits pour nous dévoiler ses souffrances, ses fragilités, ses souvenirs et ses rêves. La peinture libre de Ludivine nous jaillit en pleine face. L’autoportrait, qui ne cesse d’être un de ses sujets de prédilection, fait de sa peinture l’expression d’une infinie résilience. Son œuvre n’est pas sans rappeler celle de l’artiste mexicaine Frida Kahlo, qui a fait de la douleur un talisman qui se guérit à travers ses pinceaux. L’explosion de couleurs de ses compositions sauvages extériorisent la rage folle d’une artiste sans cesse en lutte. Un engagement qui résonne comme une caricature de notre monde et qui vient nous questionner sur la société et la violence de ses mœurs. Elle nous plonge dans son univers volontairement irrévérencieux et dérangeant, qui combat les stéréotypes et interroge la marginalité, le racisme, la féminité et la masculinité excessive, le tabou de la sexualité, le travestissement, l’homosexualité, la liberté et le désir des femmes. L’entourage de l’artiste joue un rôle prépondérant dans son œuvre. Les visages souvent grimés de ses proches prennent place dans ses compositions. Ils sont prétexte au récit intime de sa vie et incarnent les héroïnes de ses luttes. Certaines de ses œuvres donnent à voir des scènes urbaines et contemporaines dans des compositions empruntées aux grands maîtres de l’histoire de l’art comme Delacroix ou Manet. Sa manière de peindre — proche à certains égards de celle des surréalistes et des néo-expressionnistes — mêle des références autobiographiques à des éléments symboliques ou oniriques. Les œuvres de Ludivine sont l’expression de sa vie, de ses souvenirs d’enfance et de ses engagements. Son œuvre se fait l’écho d’une jeunesse qui s’indigne et d’une nouvelle génération qui se soulève.
Ludivine a vingt-cinq ans et est fraîchement diplômée de l’École Nationale Supérieure des Beaux-Arts. Faute de pouvoir s’installer convenablement à Paris, elle fuit la capitale pour Poitiers. Elle trouve refuge dans un habitat troglodyte au bord du Clain pour continuer à dépeindre avec urgence le monde extérieur. La faune et la flore envahissent son travail. Sa peinture s’est apaisée. Sa nouvelle vie loin de la folie de la grande ville lui rappelle celle de l’île de son enfance. Elle avait besoin de retrouver la nature, celle qu’elle avait connue sur l’île. Ses récentes peintures et ses dessins nous plongent dans un voyage à travers sa nouvelle vie, sa nouvelle ville. Elle fait l’amour à la peinture. La feuille de vigne est l’antithèse de son œuvre, ici le sexe n’est jamais caché, il est célébré. Ses conquêtes sont présentées comme des trophées. Celui que la société patriarcale et sexiste appelle le sexe faible devient là le puissant. À la manière d’une Cléopâtre des temps modernes, elle s’aime à multiplier les amants — qu’elle s’amuse parfois à travestir — et à exposer fièrement dans ses peintures. Ses sujets de prédilection sont baignés dans la luxuriance de son jardin, dans les paysages et les histoires de la ville aux cent clochers. On peut y distinguer le Clain qui traverse Poitiers, le Grand’Goule — dragon légendaire du Poitou — ou la monumentale Notre-Dame des Dunes qui surplombe la ville. La mythologie, les contes et les légendes régionales s’entremêlent à ses autoportraits, ses souvenirs, son imaginaire, sa sexualité et ses amis, de toujours ou de passage. Tous se rencontrent dans un univers artistique éclatant et exaltant, célébrant la folie d’une femme libre à la conquête d’un nouveau monde. C’est une divine idylle !
Ludivine Gonthier (née en 1997, France) vit et travaille à Poitiers.
Elle a obtenu son master à l’École Nationale Supérieure des Beaux-Arts de Paris en 2022.